Il devait être tout juste huit heures du matin lorsque je me fis réveiller par mon imbécile de voisin qui était en train de chanter. Ce n’était pas la première fois. Autant dire que ça ne me mit pas de bonne humeur, mieux valait que je ne le croise pas de sitôt à celui-là, sinon j’allais lui faire passer l’envie de chanter le matin moi. Je ne réussis à me rendormir qu’une heure après, pour me réveiller alors que le soleil était à son zénith. L’après-midi commençait à peine et je venais donc tout juste de me lever. En général je ne prévoyais pas à l’avance ce que j’allais faire de mes journées de libres, je préférais laisser place à la spontanéité. Mais aujourd’hui j’avais ma petite idée de la façon dont j’allais occuper le reste de mon temps. J’allais rendre une petite visite à Taylor, ce loup-garou que j’avais rencontré depuis quelque temps déjà. Nous nous étions vus de nombreuses fois et j’avais fini par m’attacher à lui. Je savais désormais que je pouvais le compter parmi mes amis. Le fait que nous appartenions à la même espèce avait joué à notre entente, mais cela ne se résumait pas juste à ça. Je me rendais compte que plus le temps passait, plus j’appréciais être en sa compagnie et avais envie de le voir.

Je mangeai un morceau et pris une douche avant de me préparer pour partir. Je pris la peine de glisser sous la porte de mon voisin un petit mot à son attention ainsi qu’à celle de ses cordes vocales. S’il voulait pouvoir continuer à chanter il ferait mieux de ne pas me réveiller le matin. Bref, sur une note un peu plus joyeuse je partis de chez moi. Taylor ne vivait pas très loin, au motel qui était à quelques rues de chez moi. C’est pourquoi je partis à pied, mais c’était sans compter sur mon habituelle chance, puisqu’à peine arrivée à mi-chemin il se mit à pleuvoir. Bien sûr ce n’était pas juste quelques gouttes mais des trombes d’eau. J’accélérai donc le pas afin de ne pas arriver dans un sale état, complètement trempée.

Une fois arrivée, je demandai au réceptionniste de m’indiquer le numéro de sa chambre, je ne savais pas dans laquelle il se trouvait car je ne lui avais encore jamais rendu visite ici. Je savais seulement que c’était là qu’il logeait. J’espérais que je ne le dérangerais pas, après tout je ne l’avais pas prévenu de ma venue, ça pouvait peut-être paraître légèrement inconvenant. Mais bon en même temps était là tout l’intérêt de ce qu’on appelait une visite surprise. J’arrivai devant le pas de sa porte et frappai, avant de me cacher derrière la paroi du mur d’à côté. J’avais dit « surprise », il fallait bien que j’essaye de le surprendre, même s’il m’avait peut-être déjà sentie arriver…

Je n’eus pas à attendre bien longtemps avant que la porte ne s’ouvre. Bien sûr il avait compris que je me tenais là, tentant de me cacher. Tentative de dissimulation ratée, bon en même temps je m’y attendais, c’était un loup, quelles étaient les chances pour qu’il ne sente pas mon odeur et que ma tentative ne soit pas un échec ? Quasiment aucune, voire tout simplement aucune en fait. Mais de toute façon, ma démarche était plutôt autre. Dans le fond, ce n’était pas seulement pour le surprendre à proprement parler que j’avais fait ça, c’était plus pour jouer. Du coup, en attendant sa voix je me mis à sourire.

Rien ne sert de te cacher Erin, je sais que c'est toi, je t'ai reconnu avant même que tu frappes !

- Je ne me cachais pas, tu vois c’est la faute du mur, c’est juste lui qui ne me rendait pas visible.

Explication totalement ridicule, certes. Parfois il fallait admettre qu’on ne pouvait pas sauver la face dans toutes les situations. Là avec mon mur j’avais fait fort… Bref, c’était fait et le ridicule n’avait jamais tué personne de toute façon.

Je suis content de te voir ! Que me vaut cette visite ?

La raison de ma visite, c’est vrai que je n’avais pas de raison particulière à lui donner vu que j’avais juste eu envie de le voir. Pour le coup je m’étais vraiment pointé à l’improviste. Mais cela me paraissait naturel maintenant d’être avec lui, après tout nous avions passé pas mal de temps ensemble. Je me rendais bien compte qu’il prenait de plus en plus d’importance pour moi et que la nature de mes sentiments pour lui devenait de moins en moins claire, ou plutôt si justement… Enfin bon nous étions avant tout amis et peut-être que ça c’était très clair pour lui dans sa tête. Je crois que j’étais probablement un peu perdue et inconsciemment je me demandais si je n'avais pas eu envie de venir le voir pour me donner raison ou bien me donner tort ? Si compliqué… J’essayais de mettre un peu de côté toutes ses pensées qui devaient me donner une tête de fille complètement paumée à présent.

- J’avais juste envie de passer voir mon loup préféré, dis-je en lui lançant un sourire et en déposant un baiser sur sa joue. Bien sûr j’aurais pu prévenir avant, je m’excuse un peu de ne pas l’avoir fait… J’espère que je ne te dérange pas et que tu n’avais rien prévu de particulier aujourd’hui ?

J’espérais bien que non.

Méchant mur ! Promis je le punirais pour ce qu'il t'a fait le mécréant ! Et si il recommence, tu me le diras !

Je ne pus m’empêcher de rire en voyant qu’il se prêtait au jeu. Comme toujours il marchait dans les petits délires que je pouvais avoir, c’était une des nombreuses choses parmi tant d’autres que j’aimais chez lui et qui avait fait que nous nous étions entendus d’ailleurs.

- Tu es gentil, je n’y manquerais pas, je savais que je pouvais compter sur toi. C’est que je crois bien qu’il risque de récidiver un de ses jours, on ne sait jamais.

Tu connais qu'un loup ici donc en même temps c'est obligé que je sois ton préféré ! Tu n'as pas à t'excuser de venir à l'improviste, ça me fait plaisir de te voir mais effectivement j'ai quelque chose de prévu avec une belle brune qui je dois l'avouer est incroyablement sexy... D'ailleurs elle doit m'attendre !

Une autre fille qui devait l’attendre… Je tentais de conserver un semblant de neutralité sur mon visage, mais à l’instant où il avait parlé de cette autre fille je devais probablement avoir trahi la jalousie qui naissait en moi. De la jalousie mais aussi un peu de tristesse car cette fille pourrait très bien prendre beaucoup de place dans sa vie d’ici peu et cela voudrait dire que je passerais moins de temps avec lui, ce que je ne voulais pas. Je me rendais compte que le temps passé avec lui m’avait fait mettre très peu d’espace entre le mot amitié et le mot amour dans la relation que nous avions. Les deux étaient indissociablement entremêlés. Je crois que j’ai su dès que je l’ai rencontré qu’il ne deviendrait pas qu’un simple ami à mes yeux.

Est-ce que je devais lui montrer que j’étais déçue ou non ? Il saurait alors que je lui porte un intérêt bien plus grand qu’il ne peut l’imaginer. Ce n’était pas que je voulais feindre mes sentiments, mais si je lui en faisais part j’avais peur de m’exposer à une non réciprocité de sa part et de peut-être gâcher l’amitié que nous avions. Mais si je me mettais à jouer l’indifférente, ça n’aiderait en rien la situation…

Je réfléchissais encore et encore quand je me rendis compte que j’étais restée là les yeux dans le vague. Je tournais alors mon regard vers lui, mon regard qui en ce moment même, devait juste chercher à lui dire ce que mes mots avaient si peur de faire. Jusqu’à présent j’avais réussi à lui cacher que je ne ressentais rien d’autre qu’une profonde amitié pour lui. Il ne semblait pas avoir décelé les sentiments bien plus forts que je ressentais pour lui ces derniers temps. J’arrivais assez bien à cacher ce que je voulais dissimuler en général, mais là je n’arrivais pas me montrer complètement impassible. Plus que l’appréhension qu’il ne découvre mes sentiments, j’étais submergé par une vague de jalousie que je ne parvenais pas à maîtriser totalement. Je me demandais qui pouvait bien être cette fille ou même si je la connaissais. Vu la façon dont il avait parlé d’elle, il semblait impatient de la retrouver…

- Une belle brune ? Bon alors je vais y aller, je ne voudrais pas te faire manquer ce rendez-vous si important. Je préviendrais la prochaine fois cela vaudra mieux.

Je sentais se profiler à l’horizon une après-midi maussade et un retour chez moi des plus déprimants. J’aurais probablement une discussion très intéressante avec Ben & Jerry’s, avant d’essayer d’oublier cette journée devant la télévision… Je perdis d’un coup toute la bonne humeur que je pouvais avoir jusqu’à présent.